Concours de nouvelles #1 : le coup d’envoi partie 2

Gersty2

Eloignés des terrains en raison du confinement, les Gorettes et les Gorets se rattrapent en écrivant sur leur passion ovale. Chaque semaine, ils ont quelques pistes pour les inspirer. Voici la deuxième partie (4 réçits) de la première semaine, COVID & COUP d’ENVOI.

gorettes7idf2019

 

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Dimanche

*Trit* (coup de sillet). « Mêlées. Flexion, lier, jeu … sorti… droiiiite ! Avec. *Boum*. Gratte… J’ai !  *Tatattatatattaaaaa* (course d’ailière tchiktchak) *Hiinnn PAM* (plongeon) *Trit* (essai) « Yeahhhh » *clap clap clap* (public en furie) *Triiiiiit* (fin du match).

 

*RHHHHINNN* Me voilà haletante assise sur mon lit. Quel match ! Enfin quel rêve, je transpire… Quelle heure est-il ? J’ai oublié de me réveiller ? J’ai raté le match ? 7h05, ouf. Le jour se lève. Un moineau chante. Le 18e dort encore. Je m’étire. Un instant, le froissement des draps couvrent le chant du petit oiseau à ma fenêtre. Je me glisse lentement hors du lit. Mes pieds traînent sur le parquet. Je verse le lait dans la casserole, allume le gaz et attends. Les flacons d’avoine se déversent, doucement, pour recouvrir le lait frémissant. J’ouvre le robinet, remplis la bouilloire et actionne le bouton « on ». Les bulles d’air du porridge jouent un doux concert, accompagné de la bouilloire et du putain oiseau.

 

« Saluut !

- Ca va les meeeefs ?

- Nonn tes sérieuse, tes rentrée à 5h et tes fraîche comme un gardon là ? Tu m’épates. »

- T’as du strap ?

- Qui veut un massage ? J’ai pris ma table.

- Oh non… Quelqu’un à un short en plus ?

- Salut les poulettes !

- Mhh je te déconseille d’y aller tout de suite…Tout le monde est arrivé ?

- Qui veut une stresse ?

- Quelqu’un a des news de Marion ?

- On a bien la pharma ? »

 

*Toc toc toc*

« 5 minutes les filles. »

 

*Klak klak klak klak klak klak klak klak* Les crampons meurtrissent le carrelage. C’est la sortie du vestiaire, toute une équipe qui entre sur le terrain, silencieuse, concentrée, morte de faim.

 

« C’est parti, petite course dans l’en but. Droite. Talons fesses. Tranquille. Droite. Montée de genoux. Lâche. Encore. Gauche. Au poteau on accélère jusqu’à l’en but. Gauche ! Pareil. Allez boire. »

 

« Flèche. Passe en face. On attend la balle. Passe en l’air. On s’applique. 10 pompes. Allez, ça repart, passe dans les pieds. On augmente la fréquence. 15 abdos, 1, 2, 3, 4… Allez, allez, ça repart, passe au centre, on anticipe. Pas de ballons par terre. Allez on accélère, 30 secondes. Allez boire, c’est bien. »

 

« Capitaines ! »

 

« Je peux te plaquer ? Droite » *Bam* « Ça va ? Ouais c’est bien, plus bas. Gauche » *Bam* « Top, serre encore plus les bras, c’est bien ».

« SCUUUUF PORC !!! » Les tripes de 22 joueuses se font entendre. Le 15 de départ se met en ligne. Les capitaines se font face. Je me frappe les épaules, je saute, j’écarte les doigts. Je tape les épaules de ma pote devant. C’est parti, c’est maintenant. J’ai le ventre noué…J’ai hâte. J’ai peur. Peur de ne pas être à la hauteur de la responsabilité symbolisée par le numéro que je porte sur le dos. Mais je sens mes coéquipières devant, derrière, dans les gradins. Les coachs. Je suis prête, nous sommes prêtes, c’est parti.

 

*Triiit* « On quadrille ! Recule un peu… J’ai !!!! Merde ».

 

*Trit* « Mêlée noire. Serre-moi bien. On descend ? Short. 2e ligne. Plus bas Milou. Good. » Je respire vite. La tête entre les hanches des 1ères lignes, le temps s’arrête quelques fractions de secondes. Je n’entends plus rien si ce n’est mon cœur qui bat trop vite. Je soutiens le regard de ma vis-à-vis. Elle baisse les yeux. Au travers de mon casque et des corps plaqués sur mes oreilles, je perçois la voix de l’arbitre « Flexion, Lier, Jeu. Scuuuuf porc, 1, 2, 1, 2. Sorti ! C’est sorti ! ».

 

« Ça sort ! » *Trit* « Touche à 6. Ché qui qui chaute ? Non elle est chortie !! Dépêche ! 7, 3, 5, 2 bleu. » Plane toujours un léger vent de panique avant que la machine magique de la touche se mette en branle. La précision collective incarnée.  « Saut ! Sol ».

 

« Ecarte ! Avec ! gazzz ! » La balle en main, un seul mot résonne : avancer. Je ne pense à rien. Non, je ne pense plus. Mes jambes accélèrent, mes coudes se tendent, mes genoux se lèvent, mes oreilles entendent : « Gaucheeee ». Je passe… Ca passe !!! *Trit* ESSAIIII.

 

*TRIT ! TRIT ! TRIIIIIIT !!!*

 

« Allez te faire  mmmmhhh…. radioooooooo… pas très beau…. Balance ton quoi ! » Les douches fanfaronnent.

« Un pichet stp Alex… L’été sra chaud, l’été sra chaud… On se fait un mac do, qui veut du cancer ?….Gogo gogogorettessss… 12 Jager please….Petit flip cup ? … To lose, Fire away fire aay, Ricochet nanananana fire away fire away nanininnin me down… I AM TITANIUMMMMM »

 

Puis il y a eu une crêpe, un Sully, une recherche de portable, puis un tek paf parce que c’était toujours la fête. Un indien, très très petit, le retour entre voisins du 18e, un poteau, pas assez d’eau, puis un gros dodo.

 

*Tutuuuutut* (klaxon) *RHHHHINNN* Haletante sur mon lit, je cherche mon téléphone. Il fait jour voire très jour. Quelle heure est-il ? J’ai besoin d’un verre d’eau. Portable. Où est-il ? L’angoisse monte. Va pour l’ordi. 10h10. Putain… c’est chaud. Faut que je prévienne. Portable. Ah puutain !! Les idées se remettent en place. Non pas de portable, plus de portable… Allons-y pour un mail. À Véronique ?

Yo Théo, peux-tu stp prévenir V. que j’ai eu un petit problème technique, j’arrive à 11h et j’ai plus de portable. Oui encore, je sais c’est chaud. Il reste du citrate dans le tiroir ?

Milou

 Milena

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La Rousse et le Machado

 

Maîtresse Jeannette jouait un jour sur un pré,

Avec son équipe ENSAE.

Maître José qui tenait le sifflet,

Lui tint à peu près ce phrasé :

Et bonjour, Mademoiselle la rousse,

Les Gorettes que j’entraîne, ont besoin d’un coup d’pouce.

Sans mentir, si votre placage,

Se rapporte à votre grattage,

Vous êtes la Mayans, des filles de ce terrain.

A ces mots, la Jeanne ne se sent plus d’entrain,

Pour mieux répondre à M’sieur l’arbitre,

Enlève son protège-dents, laisse échapper un “oui”

Le José s’en saisit et dit : Ma bonne Jeannette,

Apprenez que tout Machado,

Vit au dépens de celles qu’il machade

Je vous revois à Rousié, où sont vos futures camarades ?

La Jeanne malgré elle, s’y rendit,

Et après tout ce temps, n’est toujours pas partie !

 

Jeanne

 Jeanne

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Ca y est, la prépa est terminée et la vie reprend son cours. Certes j’avais arrêté pour d’autres raisons et oui je n’avais jamais fait de ma reprise une certitude … pourtant je dois redonner une chance au rugby.

En ce troisième lundi de l’année, c’est le premier entraînement avec « Les porcelets ». Dans le métro, je discute avec le respo rugby de l’école. J’ai tant de questions qu’on loupe l’arrêt et rejoignons le stade au pas de course. Ça commence bien.

Max Rousié, quelques morceaux de matchs me reviennent alors qu’on entre dans les vestiaires. En minime, une victoire contre le SCUF comme revanche après qu’ils nous aient éliminés l’année passée au Challenge Orange, mais surtout la joie d’un terrain synthétique épilatoire.

Tout ça c’est du passé et j’appréhende la suite. Mais d’abord, il s’agit de se mettre en tenue. Pour ne pas aller trop vite, j’ai décidé de ne rien racheter. Mes chaussures 2 pointures trop petites, mon haut en nylon taille 14 ans, mon protège-dents avec l’empreinte de feu mes dents de sagesse, je suis fin prêt.

Le premier placage pique plus que prévu, dans mes souvenirs ça faisait moins mal et j’aimais ça. Alors pour me rassurer je découpe tout ce qui bouge à l’exo de 2 contre 1. Une hérésie libératrice.

J’ai survécu à la reprise des entraînements, reste à confirmer lors du premier match ! Je m’étais bien gardé de dire que je jouais 9 à l’ASPTT, on m’informe que je vais jouer 15. Un nouveau poste, je l’avais bien cherché…

L’équipe adverse est mieux organisée, plus technique et possède un triangle arrière pour le moins athlétique. J’ai du travail mais je manque de pratique et le troisième rideau est perméable, on prend l’eau. Le numéro 8 adverse prend même le temps de me mettre un cul dans l’en-but pour aplatir entre les poteaux.

Le match se termine et je sais que c’est fini, le rugby est revenu dans ma vie et j’aurai un mal fou à le laisser repartir. J’ai un sourire jusqu’aux oreilles et je vois qu’il est partagé par le camarade de promo que j’avais entraîné avec moi, un certain Romain. La semaine suivante, comme pour couronner le tout, je découvre le résumé vidéo du match fait par l’équipe adverse. On y est lamentable, mais on n’en rit encore et encore.

Oui, le cul est sur la vidéo. Oui, la vidéo existe toujours.

Mitrril Cyan

cyril2

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Le rugby, c’est une musique.

Le réveil à six heures les jours de match.

Les oiseaux qui gazouillent quand il faut marcher longtemps pour arriver au stade.

Le brouhaha des vestiaires où chacune cherche un maillot à sa taille.

 

Le rugby, c’est une musique.

La boom box à l’échauffement.

Les cris de guerre avant le match.

Le « triiiit » du sifflet.

Le « spouic » des crampons dans la boue.

Les « A gauche, à gauche ! » des remplaçants qui se prennent pour des copilotes de rallye. L’impact sourd des placages.

Le charabia des combinaisons annoncées avec un protège-dents.

 

Le rugby, c’est une musique.

Le « crac » qui fait frémir.

Les applaudissements quand il faut quitter le terrain.

Le silence angoissé d’une salle d’attente.

Le « tac, tac, tac » des béquilles sur le pavé.

Les rires des retrouvailles.

Les hurlements en redécouvrant l’odeur des chasubles.

 

Le rugby, c’est une musique.

La clameur d’une tribune galloise.

Un paquito dans la rue.

Les vagues de l’Atlantique un soir de tournoi.

Des chansons paillardes dans un wagon.

Le bruit mat des shots sur un comptoir.

La radio d’un kebab au bout de la nuit.

 

Et quand le rugby s’arrête… il reste encore la musique.

 

Un jour, il faudra raccrocher les crampons, mais on entendra encore longtemps leur écho dans le vestiaire vide. Le « plop » d’une passe saisie au vol. Je pense à ce « plop », comme il me rendait heureuse, comme il faisait battre mon cœur plus vite. Et j’ai la certitude qu’un jour, bientôt, forcément, je rejouerai.

 

Estelle

 Estelle

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