Concours de nouvelles #1 : le coup d’envoi partie 1

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Eloignés des terrains en raison du confinement, les Gorettes et les Gorets se rattrapent en écrivant sur leur passion ovale. Chaque semaine, ils ont quelques pistes pour les inspirer. Première semaine, COVID & COUP d’ENVOI. C’est parti !

Pour la première semaine nous avons reçus 7 contributions. Voici les 3 premières.

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Le début

 

Je me demande bien par où je vais commencer.

Pauline regarde le salon et constate les conséquences des torrents d’énergie et de boisson qui s’y sont déchaînés la veille. La cuisine, le couloir, la salle de bains ne sont pas beaucoup plus prometteurs, et Pauline n’a pas encore jeté un coup d’œil au jardin et à l’étage. Hier, il y avait match. C’était le septième de la saison, l’équipe se déplaçait dans un patelin à une demi-heure de route. Le terrain était gras, les adversaires hargneuses et pas trop futées. Pauline avait rejoint le club au début de l’année et jouait troisième ligne aile en remplacement de la titulaire, partie en weekend à Barcelone. Elle avait réussi à produire quelques bons plaquages dans la demi-heure qu’elle avait passée sur le terrain, l’équipe s’en était sortie avec une victoire sans gloire, arrachée au pied.

De retour au vestiaire, les filles avaient sorti leurs portables et l’information avait circulé : le gouvernement avait décrété l’interdiction de sortir de chez soi pour une durée indéterminée. Cela faisait plusieurs semaines que les nouvelles autour d’un virus inconnu particulièrement virulent gagnaient de l’importance dans les médias. Des rumeurs sur un confinement inévitable avaient commencé à circuler trois jours avant.

Pauline avait à son tour récupéré son téléphone et appelé sa mère. Celle-ci lui avait indiqué qu’elle avait décidé d’aller rejoindre sa sœur sur la ferme familiale pour permettre au petit frère de ne pas tourner en rond. Ils étaient déjà partis, mais les placards de la cuisine et la réserve étaient pleins et Pauline était suffisamment grande pour s’occuper d’elle-même quelques semaines.

Ce n’était pas la première fois que sa mère la laissait en plan, Pauline avait l’habitude de se débrouiller depuis son adolescence. De toute façon, elle serait plus tranquille à ne pas devoir gérer les sautes d’humeur de sa mère et elle pourrait faire ce qu’elle voulait dans la maison. Sa formation d’attachée commerciale allait certainement être suspendue jusqu’à nouvel ordre. Cela tombait bien, elle n’avait pas pris de vacances depuis longtemps. Pauline avait lancé, un peu pour rigoler, une invitation pour faire la dernière troisième mi-temps avant la fin du monde chez elle. Quelques filles avaient dit oui tout de suite, les autres avaient hésité. Finalement la majeure partie de l’équipe avait suivi, le départ se règlerait de toute façon. Et puis on venait de se rouler ensemble dans la boue, de se respirer dessus dans les rucks, alors s’il fallait se contaminer autant le faire en rigolant un peu.

En général, les filles buvaient une pinte au club-house puis ne tardaient pas trop à rentrer, attendues par leurs parents, leurs mecs ou leurs boulots le lendemain. Mais là, ça avait été complètement sauvage. On ne savait pas quand on allait se voir à nouveau, descendre des bières ensemble, rigoler en se prenant par l’épaule, faire n’importe quoi. Le lendemain n’arrivait, n’arriverait pas. Pauline adorait faire la fête et avait été la première à ouvrir les vannes. Littéralement : la baignoire avait servi de réservoir pour créer un ventriglisse géant dans le couloir. Avaient suivis un cache-cache-culotte, des cocktails rhum-poivre-lait d’avoine, un concours de tonte de gazon avec les dents, une bataille de pâtes à la sauce tomate. Pauline ne se souvenait pas très bien de comment les filles étaient parties, mais jusqu’ici elle n’avait pas reçu d’appel inquiétant, alors tout devait s’être bien passé.

Pauline revient à elle et se rassoit sur le canapé, dont elle vient de débarrasser quelques bouts d’herbe et plusieurs capsules de bière, et allume la télé. De toute façon, on verrait ça plus tard, ce n’était que le début.

A.G.

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Avant le coup de sifflet il y a …

Avant le coup de sifflet il y a …

D’abord il y a l’appel, le mail ou le message. Il y a cette confiance que l’on place en moi. Il y a le sourire et la fierté. La première fois, j’ai eu beau m’échapper des semaines. Pourquoi tu ne viens pas au match ? Silence. Comment dire que j’ai peur ? Alors je ne le dis pas. Puisque on a besoin de moi, puisque je peux être utile je viendrais. La dernière de mes premières fois, je lis mon nom sans le lire, le passe et y revient. Silence. Je ne m’y suis jamais habituée. J’ai toujours peur. J’éteins le téléphone. Il faut faire confiance en ceux qui font confiance en toi. S’ils y croient alors j’en suis capable. Très bien, j’accepte et j’inspire.

Avant le coup de sifflet il y a …

Les jours qui défilent et l’estomac qui se tord. Chercher de l’assurance. En trouver bien trop, croire que je vais mettre le monde à mes pieds. Osciller entre agressivité et fragilité. Ne pas y réfléchir et se retrouver en train de tourner en rond. Parler ou se taire. De toute façon qui peut comprendre l’angoisse sourde d’être impatiente et terrifiée à la fois. Les jours d’avant c’est le moment de la raison. A voix haute je me dis pourquoi j’y vais, pourquoi c’est important. Je sens la responsabilité et je m’imprègne de mon devoir envers elles. Je crée mon courage en m’inspirant des autres en chassant les doutes. Je fais de chaque match une montagne à gravir et j’inspire.

Avant le coup de sifflet il y a …

Les heures filantes et le chemin qui court. Je marche seule. Dans mes oreilles, des musiques pour entrer en transe. Des basses qui rythment mon coeur. J’oublie les pensées dans des schémas répétitifs. J’avance vers les autres. Je veux tout détruire, tout casser. Je veux être la meilleure, la plus rapide, la plus forte, la plus attentive. Je m’imagine en détail sur chaque action. Je ne porterai qu’un maillot orange. Je serai derrière une barrière. Je n’aurais que quelques instants pour sortir tout ce qu’il y a à l’intérieur de moi. Je répète mon texte, faire attention à la respiration. Doucement, tout doux pour ne pas vriller. J’avance et j’inspire.

Avant le coup de sifflet il y a …

Les filles tout autour. Pour la première fois je ne suis plus seule. Le vestiaire grouille de bruit. De l’eau, des crampons, des conversations, des rires, j’entends leur respiration haletante et mon coeur qui bat. Difficile de m’y accrocher, le vide se fait dans ma tête. Je prends mon maillot, fébrile. Je les vois. Je les sens. Je me sens au sein de cette grande famille. Je me sens en sécurité, j’ai tout à prouver et à donner. Comment expliquer ça ? Pourtant ce n’est pas grand-chose. Mais il n’y a rien de plus fort que cette respiration collective, ces yeux dans les yeux. On se tient les épaules, comme un pacte secret. On est toutes là, en entier, pas le choix. On est ensemble. Et c’est ensemble qu’on inspire.

Avant le coup de sifflet il y a …

Derrière les coachs mais sur le terrain. Les pieds dans la boue avec le coeur. Mon attention concentrée sur ce bout de terre. Les autres en face, pareilles. Encore un silence, lourd, plein d’excitation. Fini les doutes, les peurs, la pression, l’agressivité. Le silence avant la tempête. Les muscles tendus, les yeux vers un point, les dents serrées, on n’invente rien. On se mesure à l’autre. Comme depuis des dizaines d’années, encore et encore. On va se rentrer dedans et avancer. Ce serait émouvant si je n’étais pas aussi concentrée. Je ne suis pas croyante mais je regarde le ciel et j’inspire.

Quand le premier coup de sifflet est donné, j’expire.

C.C.

ClementineChaput

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Récit de mon premier match avec un casque

Issue d’une famille de deuxièmes lignes, j’ai très rapidement été rattrapée par mon potentiel génétique. Bien qu’ayant commencée cadette à l’UNSS sans véritable poste, dès que j’ai commencé à jouer en club et en fédérale (3 à l’époque), mon coach bordelais m’a prise à part durant l’un de mes premiers entraînements pour me faire comprendre qu’étant grande et dotée d’une facilité impressionnante à “poser mon cerveau” avant d’entrer sur le terrain, ma destinée de deuxième ligne était toute tracée.

Que ne fût pas la fierté familiale de savoir que j’allais enfin comprendre ce sentiment indescriptible d’appartenir à la tribu du 5 de devant ! La première réaction de ma mère fut évidemment d’être horrifiée: non seulement son bébé de 17 ans jouait avec des adultes mais en plus elle allait être défigurée et avoir des oreilles en chou-fleurs comme son père, son oncle, son grand-père et j’en passe… Pour la rassurer, nous voilà donc un samedi matin chez Décathlon afin de me dégoter un casque et toute une panoplie de protections très peu adaptées à la morphologie féminine.

Et puis arrive le fameux dimanche. Il faut avoir déjà joué pour ressentir ce frisson rugbystique, un mélange d’excitation et d’appréhension, le bruit des crampons sur le sol bétonné, l’odeur unique des vestiaires et l’ambiance – presque religieuse à l’époque – de 23 nanas qui se changent, prêtes à partir pour la guerre. Et puis, c’est la sortie du vestiaire, numéro 4 dans le dos. A défaut d’être sûre de moi pour ce premier match officiel en fédérale 3, j’étais au moins sûre d’être bien protégée: le fameux casque noir et vert vissé sur la tête, la protection d’épaules/poitrine rose et bleu sur le torse, les chaussettes relevées pour ne laisser dépasser que les straps enroulant mes genoux pour aider les lifteuses à me porter en touche et le fameux protège-dent rouge (que j’ai perdu lors de ce match et jamais remis depuis). Alors qu’on était en ligne, prêtes à entrer sur le terrain, j’ai entendu Gégé, un incontournable supporter du dimanche qui nous servait des bières au club house, taper dans le dos de mon père venu exceptionnellement me voir jouer et lui dire “Ah bah ça alors, c’est ton portrait craché!” Merci Gégé, à défaut d’être sûre de moi, j’étais à présent sûre d’être bien protégée et sûre d’être au summum de ma féminité…

Premier placage, première passe, des sensations que je garderai toute ma vie et puis vient la première mêlée… Ma co-deuxième ligne ayant de la bouteille, elle m’aide à bien me lier, me placer et me rassure sur ma place ici. Flexion, lier, jeu ! Les joues écrasées entre les cuisses musclées de ma première ligne et mon talon, j’en propulse littéralement mon protège-dent dans la boue et, alors que la mêlée se met à avancer, je sens que quelque chose ne va pas. Voilà mon casque qui se met à tourner autour de mon crâne à 180° afin de me laisser aveugle, tentant désespérément de trouver de l’air, et à deux doigts de faire une crise de panique… Après un moment qui m’a semblé être une éternité pendant lequel je paniquais et je me maudissais de ne pas l’avoir assez serré, enfin, je sens que la pression autour de moi se relâche. Et, alors que mes coéquipières se propulsent hors de la mêlée pour courir après le ballon, je me relève tant bien que mal, zigzaguant telle une poule sans tête, essayant de retrouver l’ouverture du casque où mon visage est sensé être… En mode “Félindra, tête de tigre”, je le fait glisser en position normale et arrive enfin à reprendre mon souffle.

Beaucoup d’émotions sur cette première mêlée mais déjà mon coach me hurle de me bouger pour aller rejoindre la première touche du match, ma première touche en tant que sauteuse à XV. Encore sous le choc d’avoir failli décéder étouffée lors de ma toute première mêlée sur mon tout premier match, j’arrive un peu déboussolée à ma place dans la ligne de saut. Le ballon est pour moi, soutenu par des lifts puissants je m’envole, prête à toucher les cieux. Je récupère la balle – ô miracle – sous les yeux fiers de mon père et je redescends vers le commun des mortels. Mes pieds touchent le sol, je tends le ballon à la joueuse que je pensais être ma neuf, un grand sourire sur les lèvres et là… C’est le drame ! Sur le moment j’étais tellement heureuse d’avoir réussi à récupérer le ballon (étape 1 de la stratégie de touche), que j’en ai zappé l’étape 2: se tourner dans son camp pour donner le ballon…. Voilà donc l’équipe adverse qui me remercie, m’arrache la balle et s’envole vers l’en-but… Deuxième hurlement du coach, regard paternel un peu moins fier.

A partir de ce moment, j’ai tout donné sur le terrain afin de rattraper ces bévues de début de match. Je courrais toujours comme un poulet sans tête, couvrant le terrain de droite à gauche en suivant l’action, incapable de canaliser mon énergie et je me donnais tant que je pouvais en attaque et en défense. Le casque, maintenant resserré, me donnait l’impression d’être invincible. Je pouvais mettre ma tête dans tous les rucks sans aucune appréhension, je me jetais sur mes placages comme si ma tête était faite de granit et, ce qui devait arriver arriva. A force de me croire invincible, j’ai très rapidement appris la leçon numéro 1 de tout porteur de casque: ton casque en tissu n’est pas aussi protecteur qu’un casque de moto, tu n’es ni invincible ni plus résistant aux chocs avec que sans…

Dans les cinq dernières minutes de jeu, je me baisse pour plaquer la pilier adverse quand mon crâne heurte violemment son genou relevé, puis rebondi sur le sol avant de rebondir à nouveau sur son genou. K.O technique. Étendue les bras en croix, je commence à voir trente-six chandelles alors que mes coéquipières se rassemblent autour de moi. Le coach arrive et, à l’époque les protocoles commotions n’étant pas ce qu’ils sont aujourd’hui, il m’annonce simplement qu’il n’y a plus de remplaçantes et que j’ai intérêt à me remettre sur pieds et tenir les trois dernières minutes. On me relève plus que je ne le fais moi-même. Je vois flou, je n’ai plus le contrôle de mes jambes alors autant vous dire que pour courir cela s’annonçait compliqué, mais il fallait tenir 3 minutes sans que l’arbitre ne me sorte. Le dit arbitre qui siffle une mêlée sur l’action précédente et me demande si je vais bien. Il discute avec ma capitaine qui le rassure alors que ma co-deuxième ligne, toujours là pour m’aider, me porte quasiment jusqu’à ma place en mêlée. J’annonce à mon équipe que je ne vais clairement pas pouvoir pousser quoi que ce soit – je n’avais même plus la notion d’être sur un terrain de rugby… Elles me disent de les laisser faire et de juste me laisser porter. Je me pose donc (c’est le mot) sur les genoux de la première ligne, tenue à droite, à gauche et derrière afin de de pas m’évanouir et je me laisse porter aux sons des “1,2,3 pousser!” Je ne me souviendrais que d’une sensation de flottement, du ballon qui sort, d’une arrière qui dégage et du sifflet final me permettant de m’étaler de tout mon long dans la boue.

Pas de troisième mi-temps ce dimanche là car j’ai dû filer aux urgences avec mon père qui eut comme seul mot d’encouragement “ta technique de placages est à améliorer”. Leçon apprise. Aujourd’hui, huit ans plus tard, je me rappelle de ce match tous les dimanches matins et je resserre mon casque noir et vert avant d’entrer sur le terrain, la même rage au ventre, la même envie de gagner dans le regard.

M.C.

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